Le 27 février 2022, les Musées de Sarreguemines, en collaboration avec l'association Sarreguemines-Passions, organisent une projection exceptionnelle: le film D'r Herr Maire.

Cette projection sera précédée d'une brève présentation des conditions d'élaboration du film par le petit-fils de l’auteur de la pièce adaptée, Nicolas Stoskopf. Professeur émérite à l’université de Haute-Alsace, il vient de publier "Gustave Stoskopf, un étudiant alsacien à Paris" (1887-1894) (Éditions du Signe), un ouvrage qui retrace le séjour de son grand-père dans la capitale française.

Faire un film sur le particularisme alsacien à la fin du 19ème siècle semble être un défi bien difficile à relever en 1939, d’autant plus que le producteur est suisse, le metteur en scène parisien et les moyens financiers très limités.

Il s'agit non moins que d'adapter au cinéma une célèbre pièce de théâtre jouée pour la première fois le 27 novembre 1898 par Gustave Stoskopf, le chantre reconnu de l'Alsace. Cette pièce nous conte l'histoire du maire d'un village, espérant une décoration en récompense de 25 années à la tête de sa communauté. Son autre préoccupation est de marier ses filles, en particulier l'aînée qu'il verrait bien épouser le fils d'un riche fermier. Cette jeune fille, qui a fait des études à la ville, a en vue un intellectuel allemand. Intrigué par la particularité de la langue alsacienne, celui-ci tente de dresser un lexique germano[1]alsacien. Ce prétendant arrive au village, pensant que le père est favorable à son union.

Cela va donner lieu à des quiproquos et des scènes de comédies de boulevard…

La pièce est présentée à Strasbourg pour la première fois le 27 novembre 1898, après la sortie de "L'ami Fritz" (le 02 octobre 1898), une œuvre qui connaît un formidable succès. Malgré cette concurrence, l'accueil de la pièce de G. Stoskopf est retentissant. Tous les soirs, l'auteur reçoit des couronnes de laurier. On disait alors qu'à Strasbourg, il y avait deux maires, celui de Stoskopf et celui de la ville.(1) Le succès est également au rendez-vous à Paris en 1903 et 1908, quand la pièce est jouée au théâtre Déjazet. Cependant, la traduction parisienne ne semble pas convenable. Ainsi, dans certaines feuilles strasbourgeoises, on pouvait lire :

"On a traduit le Herr Maire en français et on l’a représenté l’an passé à Paris sur le théâtre Déjazet. Ce fut une grave erreur. La presse dramatique française lui a fait un accueil poli, parce que la pièce venait du pays d’Alsace que pourtant l’on n’a pas entièrement oublié ;mais elle n’y a rien compris et elle ne pouvait, dans cette traduction, rien y comprendre. Tout le parfum s’en était évaporé, dans ce translat où le patois alsacien était remplacé par de l’argot parisien ! Que signifiait alors le geste répété du docteur en philologie Freundlich, travaillant à son enquête sur l’ancien dialecte alémanique, s’efforçant d’en indiquer, par des signes compliqués, la prononciation rigoureusement exacte, et soulignant par le : Dasmussich mir notiren (sic) toutes les jolies expressions du terroir qui jaillissent des lèvres de ces paysans du Kochersberg ? Et puis le comique, dans l’original, résulte de l’emploi de tous les dialectes en usage en Alsace, des expressions françaises" (2).

La pièce est également présentée à Berlin en 1906. Puis à Strasbourg en 1908, devant Guillaume II. À l'issue de la représentation, l'Empereur donne une réception, prononce quelques mots en alsacien et fait Gustave Stoskopf chevalier de l'ordre de l'Aigle rouge, cette décoration que le "Herr Maire" de sa pièce convoitait tant.

Le film qui reprend la pièce est augmenté d'une partie post-Première Guerre mondiale. La société qui va le produire, "les Producteurs Associés", a son siège social avenue des Champs-Elysées à Paris. Son président, un certain Beaujon, est suisse. Le réalisateur est parisien : c'est Jacques Séverac. Mais tous les autres, artistes et figurants sont alsaciens.

Le découpage et les dialogues sont confiés par Beaujon à un homme de théâtre parisien, un certain Jean Kolb, d'origine alsacienne mais vivant à Paris. C’est un désastre. Kolb croit bon d'étoffer l'œuvre en truffant le dialogue de calembours parisiens de la pire espèce. Beaujon se rend de suite compte que le travail de Kolb est médiocre. Gustave Stoskopf est consterné, abattu. En accord avec le producteur, c'est Charles Gustave Stoskopf (le fils) qui reprend le découpage et les dialogues.

Le commanditaire du film sait que les potentiels spectateurs sont peu nombreux. Il table sur la zone dialectale rhénane qui comprend, outre l'Alsace et la Moselle, les régions qui leur sont limitrophes en Allemagne et en Suisse. Il lui faut donc prévoir un budget peu important. Malgré tous ces écueils, il réussira son pari. Stoskopf accepte des droits d'auteur très modestes, les acteurs du théâtre alsacien jouent pour "l'amour de l'Art", les habitants de Geispolsheim et de Rummersheim jouent gratuitement et fournissent leurs costumes. 

Les extérieurs sont tournés à Eckwersheim où les maisons, les étables et les cours de fermes sont gracieusement mises à la disposition de la production.

C'est donc tout un travail de bénévoles issus du tissu populaire profond du terroir alsacien qui sera le moteur de la réussite. C'est un engagement souvent naïf, mais fondamentalement sincère et surtout passionné qui a rendu possible la réussite de ce film.

Nous sommes en août 1939, les bruits de bottes se font de plus en plus forts (la guerre est déclarée le 3 septembre 1939). Certains acteurs sont mobilisés, Strasbourg est évacuée.

Les dernières prises et le montage du film se font à Paris aux studios Montsouris (3), d’où le producteur renvoie les caisses de matériel et de costumes. On a longtemps cru ces caisses perdues. En fait, elles ont été confisquées par le Kraft durch Freude (un organisme allemand).

Le film est terminé en septembre et projeté en salle à Paris. Charles Gustave Stoskopf (le fils de l'auteur), démobilisé dans la capitale, le voit et le trouve fort réussi (4). Après la guerre, en 1947, le film est projeté à Strasbourg au Capitole et au Palace, devant 120 000 spectateurs. Vingt-deux ans plus tard, il sera projeté à Brumath pour l'anniversaire des cent ans de la naissance de son auteur.

Perdu pendant quelques décennies, le film est retrouvé dans les années 1990 par deux amateurs de cinéma, messieurs Kolb et Anthony qui le font partiellement restaurer par la Coopérative Régionale du Cinéma Culturel (CRCC) où il est archivé. Il est projeté en Alsace en 1996 à l'occasion du centenaire du cinéma.

La pièce "D'r Herr Maire" de Gustave Stoskopf est si célèbre au début du 20ème siècle qu'une série de douze assiettes décoratives lui est consacrée par la Manufacture Utzschneider & Cie de Sarreguemines. Chaque assiette illustre une des scènes les plus significatives de la pièce. La décision de créer cette série semble avoir été prise vers 1905. Henri Loux, employé comme décorateur par la faïencerie de Sarreguemines, y crée un ensemble de décors qui, après avoir porté son nom, sera célèbre sous celui d'"Obernai". On lui demande d'illustrer la nouvelle série. Hélas, malade, il doit quitter Sarreguemines fin 1905. À sa mort, le 19 janvier 1907, il n’a pu créer que quatre décors.

C'est Frédéric Régamey, un de ses amis du cercle des artistes strasbourgeois, qui finira la série. Nous savons que les premiers envois de Régamey, ses sept premiers dessins au trait, sont reçus à Sarreguemines le 24 janvier 1906. La série sera parmi les premières à être composées avec le recours à la photogravure qui accélère le processus de production.

Le 26 décembre 1906, Gustave Stoskopf est de passage à la "Réunion" (le Casino de la faïencerie), peut-être pour y présenter une de ses pièces ? Paul de Geiger lui soumet les huit assiettes finalisées (quatre de Loux et quatre de Régamey) et lui annonce que la série sera terminée dans six semaines. C'est en fait le 6 mars 1907 que le travail est achevé et que six séries de douze assiettes sont envoyées à titre d'échantillons aux revendeurs alsaciens. Cette série sera produite jusque dans les années 1930. Six assiettes sont rééditées par demie séries en 1981 (deux de Loux, quatre de Régamey), puis six autres en 1982. Elles étaient vendues par souscription au prix de 360 francs.

Ces assiettes ne sont pas numérotées. Les recherches de l’association Sarreguemines[1]Passions ont permis de les mettre en ordre chronologique et de traduire en français leurs légendes. Elles feront l’objet d’une exposition au rez-de chaussée du Musée de la Faïence du 1er février au 1er mars 2022.

  

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1 https://www.theatre-alsacien-strasbourg.fr/biographie.htm

2 Annales de l'Est 18ème année – 1904 Berger-Levrault

3 L'Intransigeant 2 septembre 1939 – page 4 Le journal de Paris.

4 Kochersbari été 2009 – n°59

 

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